Violences policières à la frontière croate
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C’est l’hiver, il fait froid, -10 degrés Celsius. A travers la brume des ombres marchent, vêtu d’une couverture, en sandales. Des hommes, des femmes, des enfants. Ils déambulent sur le bord de la route par dizaines. Certains boitent, d’autres ont le bras dans une écharpe, un pansement à la tête. Nous sommes à Velika Kladusa, au nord de la Bosnie-Herzégovine, à quelques kilomètres de la frontière Croate.
De cette ville limitrophe, de nombreux migrants tentent chaque jour de traverser la frontière pour entrer en Europe. Leur destination, l’Italie, puis la France ou l’Allemagne. Ils viennent de pays, de religions, et de classes sociales différentes. Ils sont Afghans, Pakistanais, Algériens, Marocains, Bengalis. Mais malgré leurs différences, ils sont tous à la recherche d’un même idéal, une vie meilleure.
Passer en Croatie est une étape difficile, dont le prix est élevé. C’est une épreuve qui peut coûter la vie. Il faut marcher de longues heures dans la forêt, parfois plusieurs jours, traverser une rivière, éviter les champs de mines, tout en étant invisible. La frontière croate est l’une des mieux gardées d’Europe, des chiens, des drones militaires, des caméras thermiques, des policiers mobiles qui n’hésitent pas à être violent quand ils le peuvent. C’est d’une telle difficulté que les migrants eux-mêmes l’appellent “Game” ou le Jeu en Français, car chaque étape franchie est le passage vers un niveau supérieur.
Il est impossible d’obtenir des chiffres exactes, mais d’après “Border violence monitoring network” pendant le mois de mars il y a eu plus de 229 personnes refoulées à la frontière entre la Bosnie et la Croatie et 677 dans l’intégralité des Balkans. Presque 75 pour cent de ces retours à la frontière “Push back” en anglais, sont conduits de façon violente.
La violence physique
Lorsque les forces de l’ordre croate arrêtent les demandeurs d’asile ayant passé la frontière de façon illégale, elles les livrent à une autre division, les migrants les appellent “commandos”. Des hommes cagoulés, surentraînés, et armés jusqu’aux dents. Ils les embarquent dans un van et les emmènent dans un lieu à l’abri des regards. Une fois arrivés, ils les font sortir, les mettent en ligne, leur demandent s’ils parlent anglais. Le but étant de savoir qui est le passeur. Bien sûr personne ne répond. Puis ils les questionnent et les démunissent de leur possessions, argent, portable, sac de couchages et vêtements.
Ahmad a 27 ans, il vient d’Afghanistan. Chaque jour, il marche plusieurs heures pour traverser la frontière, il est arrêté par la police et repoussé violemment vers la Bosnie. Il raconte: “Le policier m’a dit: do you speak english? Je n’ai pas répondu et il m’a frappé avec un bâton. Puis il a fait la même chose à mon camarade. Après cela, ils nous demandent notre argent, ils cassent notre téléphone et brûlent nos vêtements, nous laissant en sous-vêtement et parfois nu. Après ils nous frappent.”
Les forces de l’ordre croate frappent les migrants pour qu’ils n’aient plus envie de tenter leur chance. Ils les meurtrissent de façon à créer des blessures permanentes, qui les handicapent. Ils frappent les genoux, les chevilles, le dos. Ils ont plaisir à abîmer le visage, déboîter les mâchoires et casser les dents. Ahmad se souvient, “Ils ont demandé à mon ami d’ouvrir la mâchoire et ils l’ont frappé avec le poing” Un autre migrants algérien, Yacine raconte que la police les a emmené à 500 mètres environ de la frontière Bosniaque, “Ils nous ont dit de courir ver la Bosnie et ils ont lâché les chiens derrière nous.”
La torture
Les “commandos” ne se contentent pas de violenter les migrants, ils les torture, les fait souffrir, les traumatisent. Ils utilisent systématiquement des méthodes inhumaines. Ahmad montre une photo de son dos meurtri sur son portable. “Regarde, ils ont voulu me tracer une croix dans le dos avec un bâton, un policier m’a frappé comme ça et l’autre dans le sens inverse”. Une pratique courante qui consiste à marquer les musulmans d’une croix sur le dos en les blessant ou avec des bombes à tagger sur la tête.
Christina est une médecin volontaire qui travaille dans le canton d’Una sana dans le nord de la Bosnie. Chaque jour, elle soigne des personnes ayant été victime de violences. Elle partage un événement qui l’a beaucoup marqué. “Ça devait être un jeune de 17 ou 18 ans, c’était sa première traversée. Ils l’ont déshabillé, lui ont dit de lever les bras et un à un, 16 policiers l’ont frappé avec leur arme dans les côtes. Quand je l’ai rencontré, il était traumatisé.”
Femmes et enfants
Christina explique que les forces de l’ordre croates s’en prennent aussi aux femmes et aux enfants. Ils frappent les femmes, principalement dans le ventre, ils les humilient. “J’ai été témoin de plusieurs femmes ayant des saignements internes au niveau de l’estomac. Un jour, j’ai également pris soin d’une femme qui m’a raconté que la police l’a mis nu devant sa famille et l’a fouillé de façon totalement inapproprié. Le plus jeune enfant que j’ai vu ayant été victime de gaz lacrymogène avait 4 mois” dit-elle.
La violence psychologique
La violence physique, la torture n’est qu’un aspect de ce que subissent les migrants qui se dirigent vers l’Europe. Ils sont aussi victimes de violences psychologiques qui ont un impact important sur leur santé mentale. Ahmad raconte: “Ils jouent avec nous. Ils te disent qu’ils t’emmènent dans un camp à Zagreb et ils te ramènent à la frontière de la Bosnie. Ils sont gentils avec toi et juste après ils te frappent”, et cela systématiquement. La répétition et la normalisation de ces violences affectent grandement le mental des migrants “Tous les jours on traverse la frontière, tous les jours on est arrêté, tous les jours ils nous frappent et nous renvoient en Bosnie” rapporte Ahmad.
Sans moyen sûr et légal d’entrer en Europe, les migrants sont donc obligés de prendre des routes plus risquées et nombre d’entre eux ne survivent pas à ces épreuves. Le 4 mars 2021 un groupe de migrants a marché sur une mine antipersonnel en Croatie, au moins une personne est décédée et plusieurs autres ont été blessées. Le même mois, un autre migrant d’origine turque a péri en traversant la rivière frontalière dans une embarcation de fortune.
Malgré tous ces dangers et ces difficultés, les migrants essayent toujours. Mohamed, un demandeur d’asile afghans nous explique “Dans mon pays, on nous tranche la gorge, on nous tire dessus. Nous ne sommes pas en sécurité. J’ai vu le comportement de la police croate à notre égard. Ils vont nous battre, ce n’est pas un problème. Nous devons partir.”